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Arlitto
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"La nature, un lieu de spiritualité pour les peuples du Sud" Empty "La nature, un lieu de spiritualité pour les peuples du Sud"

Mar 29 Oct 2019 - 18:05
Écologie

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Propos recueillis par Matthieu Stricot - publié le 12/02/2015 

« Développement durable ». Dans les pays du Nord, une approche souvent matérialiste de l’écologie n’envisage la nature que comme un stock de ressources. Pourtant, au Sud, de l’Inde au Brésil, en passant par l’Afrique et la Palestine, le combat pour l’environnement est aussi une lutte paysanne, sociale et culturelle pour défendre un lieu sacré hérité des ancêtres. Dans L’Écologie vue du Sud, le philosophe Mohammed Taleb* aborde ces alternatives écospirituelles.

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:copyright: AFP PHOTO DUDA PINTO



Dans L'Écologie vue du Sud (Éditions Sang de la Terre, 2014), vous distinguez la conception écologique du Nord et celle du Sud. En quoi diffèrent-elles ?


Il y a d’abord une différence de classes. L’écologie, telle qu’elle est pensée et vécue dans les sociétés du Sud, est enracinée dans les classes populaires. Les paysans sans terre se trouvent ainsi souvent au cœur des combats écologiques au Brésil, en Inde, en Afrique noire ou en Palestine. Dans les pays du Nord, l’écologie est plutôt l’apanage des classes moyennes aisées.

Une autre distinction tient à la représentation de l’environnement. Au Nord, l’écologie partage avec la « modernité capitaliste » (Max Weber) une même conception : l’environnement est d'abord envisagé comme un ensemble de « ressources » matérielles, de stock, comme l’eau ou l'énergie (pétrole, gaz, minerais...). Le rapport environnemental relève en grande partie d'une « gestion » de ces stocks. Au Sud, l'environnement est certes aussi « ressources », mais également « milieu de vie »« cosmovision », lieu d’imaginaire, de spiritualité, de mémoire. Je dois cette typologie à la professeure Lucie Sauvé et à son équipe de l'Université du Québec à Montréal.

En Inde, par exemple, lorsque les peuples autochtones, les Adivasis, s’engagent dans la lutte contre les multinationales qui extraient des minerais de leurs montagnes et de leurs forêts, ils le font, bien évidement, pour défendre leurs droits sociaux et économiques. Mais ils entendent également sauvegarder leurs droits culturels, et protéger les esprits et les divinités qui « habitent » en ces lieux. Cette vision écospirituelle est valable pour l’ensemble des pay­s du Sud : pas seulement l’Inde, mais aussi le monde arabo­musulman, le Mexique, le Brésil, le Burkina­Faso, la Namibie, les Philippines, la Mongolie, la Tanzanie...

Cette dimension spirituelle est-elle la clé de la crise écologique ?
Elle en est en tout cas l'une des clés les plus importantes. Au Nord, avec l'émergence du capitalisme il y a 500 ans, l’environnement a changé de statut : de sacré, il est devenu profane. Et bien sûr, j’interprète la crise écologique comme une « profanation » de la Nature vivante. Elle a été désacralisée par de multiples mécanismes, notamment par l'assaut de la science mécaniste cartésienne, la quantification mathématique, etc.
Au Sud, que les cultures soient polythéistes ou monothéistes, il y a toujours une représentation spirituelle de la Nature. Celle­-ci est vivante en tant qu’elle est un organisme doué de conscience. Dit autrement, la Nature a une âme. C’est la raison pour laquelle, dans ces sociétés, l’écologie ne peut se développer sans une dimension culturelle et spirituelle.

Cette écologie du Sud se retrouve également chez les peuples autochtones, y compris au Nord. Comment les peuples indiens des États-Unis, par exemple, font-ils du combat écologiste une pièce maîtresse de la lutte pour leurs droits ?
Bien que les Indiens soient des citoyens américains, le rapport que l'administration fédérale et les différents États entretiennent avec eux est largement assimilable au rapport que les États­Unis nouent avec les sociétés du Sud : un rapport de type colonial ou néocolonial. Les Amérindiens sont beaucoup plus considérés comme une sorte de résidu du passé qu'en tant que composante à part entière de la société nord­américaine. Dépossédés de leur terre, de leur mémoire, de leur identité, ils font face à un « racisme environnemental » : l’administration fédérale et de nombreuses entreprises blanches utilisent les réserves indiennes comme dépotoirs pour leurs déchets industriels, voire radioactifs.
C’est la raison pour laquelle la quête de souveraineté des peuples autochtones aux États­Unis est centrale : en plus de lutter contre le racisme et pour l’égalité des droits, les Amérindiens demandent aussi la reconnaissance de leurs droits sur leur géographie. La souveraineté indienne est simultanément écologique, spirituelle et politique. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter la voix de l'American Indian Movement, actif depuis les années 1960.

Pourquoi la terre est-elle si importante dans la spiritualité des Indiens d’Amérique du Nord ?
La cosmovision des Amérindiens est la même que celle des autres peuples autochtones dans le monde. Le sacré n’est pas uniquement transcendantal, situé dans l’au­-delà. Il aussi est présent, ici et maintenant, sur Terre, dans les arbres, dans le vent, dans les phénomènes naturels. Les Amérindiens ont bien sûr un rapport utilitaire à la Terre, qui leur fournit nourriture, habitation et habits. Mais ils entretiennent par ailleurs une relation symbolique et spirituelle avec elle. Pour eux, le Wakan Tanka, le Grand Esprit, habite les lieux. Il faut y ajouter une multitude d’esprits de la Nature, attachés aux sites sacrés (montagnes, arbres, rivières...). Quand les Indiens sont dépossédés de leur montagne ou de leur forêt, la crise qu'ils subissent prend les visages d'un drame à la fois écologique, anthropologique et spirituel.

Cette terre porteuse de signification, vous l’incluez également dans la cause palestinienne. Quel rapport ce combat entretient-il avec l’écologie ?
D'abord, la crise écologique n’est pas uniquement un problème de la faune, de la flore, du climat et de la biodiversité. Il existe une relation vitale entre les humains et leur habitat. Quand cette relation est malmenée, il est légitime de parler d’une crise écologique. Depuis 1948 (création de l’État israélien), et jusqu’à aujourd’hui, le peuple palestinien subit l’exil, l’occupation, la colonisation.

Ces expériences traumatisantes sont reliées à un même processus : la dépossession de leurs terres. Même si le facteur religieux entre en ligne de compte dans le conflit israélo­palestinien, il s’agit fondamentalement d'un conflit d'ordre colonial. C'est d'ailleurs l'une des dernières batailles pour la décolonisation. L’histoire de la résistance palestinienne atteste de la centralité du lien à la terre. L’un des premiers mouvements de résistance, né en Galilée dans les années 1950, s’est appelé Al-Ard, la Terre. Par ailleurs, les Palestiniens célèbrent et commémorent tous les ans, le 30 mars, youm el-Ard, la Journée de la Terre, en référence au soulèvement paysan qui eu lieu en 1976.

Le « mur de séparation » entre l'Israël et la Cisjordanie est vécu par les Palestiniens comme un Mur de Berlin, une balafre qui sépare les villages où ils vivent des champs agricoles où ils travaillent, une blessure physique sur la terre elle­-même. Ce n’est pas un hasard si tous les poètes et poétesses de Palestine, de Mahmoud Darwich à Fadwa Touqan, de Taoufik Ziyad à Samih El Kassem, ont chanté les arbres, les fleurs, la vie naturelle, comme un espace de ressourcement et de résistance de leur culture.

Pourquoi avoir autant insisté, dans votre livre, sur la poésie ?
Cela correspond à un choix objectif : dans la pensée de libération sociale et écologique des peuples du Sud, l’imaginaire, la culture, la spiritualité et la poésie sont des fondamentaux. Le peuple palestinien s’est fait connaître par ses poètes, bien plus que par ses théoriciens politiques. Mahmoud Darwich est connu dans le monde entier, tout comme le poète chilien Pablo Neruda, ou Nazim Hikmet pour la Turquie.
Mais c’est aussi ma vision du monde. La poésie est pour moi la condamnation la plus éclatante du capitalisme et des injustices qu’il provoque. L’un des plus grands poètes romantiques allemands, Novalis (1772­-1801), disait que « la poésie est le réel absolu ». Valoriser la poésie, c’est montrer que la réalité du capitalisme n’est pas celle dans laquelle nous devrions vivre.
La crise écologique est un cauchemar. J’avais été touché par le discours de Thomas Sankara, l’ancien président du Burkina Faso (1983­ 1987), à l’Assemblée générale des Nations Unies, en 1984. Il s'agissait d'un appel à l’humanité afin qu'elle s'engage dans le combat universel contre l’injustice et pour la paix. La conclusion de son discours était constituée d'un fragment de poème de Novalis.

En quoi la pensée de Thomas Sankara représente-t-elle l’universalisme de l’écologie africaine ?
Thomas Sankara a été l’une des figures les plus lumineuses de la quête africaine de justice sociale et d'écologie. Dans les années 1980, le Burkina-Faso fut durant un temps un pôle de lumière dans la désespérance. Ce petit pays, très pauvre, a été le symbole de l’universalité de l’écologie africaine, avec notamment une vraie politique de reboisement qui prenait appui en partie sur la culture populaire et la spiritualité rurale, sahélienne et saharienne. Les griots (les conteurs) étaient mis à contribution dans la mobilisation générale, en transmettant des savoir­faire de génération en génération. Et, parmi ces savoirs, il existe des connaissances sur la Nature vivante, du désert à la steppe, en passant par les oasis et les forêts. Le conte transmet une éducation africaine à l’environnement.

Malheureusement, ces savoir-­faire sont pulvérisés par l'impact des modèles de consommation occidentaux. Pour moi, l'occidentalisation des cultures du monde est l'un des ingrédients de la crise socio­-environnementale. En réponse apparaissent des dérives fondamentalistes, qu’elles soient ethniques ou religieuses.

L’écologie africaine, et l'écologie du Sud en général, sont une alternative à ces deux problèmes. Aminata Traoré, l’ancienne ministre de la Culture du Mali (1997­-2000), a écrit Le Viol de l’imaginaire (Fayard, 2002) pour expliquer les incidences de la mondialisation néolibérale sur son continent. Pour résister à ce viol, et le surmonter, il faut réhabiliter la spiritualité des peuples.

Toutes les cultures de l’humanité possèdent potentiellement les valeurs de l’écologie, de la justice sociale, de l’humanisme, de l'émancipation de la femme. À charge pour les croyants qu’ils soient bouddhistes, hindous, musulmans, chrétiens ou païens, de valoriser et d'exprimer ces valeurs universelles.

Vous n’oubliez pas le combat des religions monothéistes pour l’environnement, en particulier la lutte des chrétiens contre la mondialisation néolibérale en Amérique latine.
En Amérique du sud et en Amérique centrale, les chrétiens ont joué un rôle très important dans l’émergence de la conscience écologique, par l’intermédiaire de la théologie de la libération, par exemple. Née dans les années 1960, cette théologie se posait dans un dialogue fécond entre le christianisme et le marxisme. Les théologiens et les théologiennes de la libération s’attaquaient à la pauvreté, au sous­développement, et combattaient contre les dictatures de Pinochet au Chili, des colonels en Argentine, ou des généraux au Brésil. Cette alliance entre les chrétiens et les mouvements de gauche, pour la démocratie et la justice, était souvent réprimée.
Dans les années 1980, la théologie de la libération a intégré le défi écologique. Le principal représentant de ce tournant est le Brésilien Leonardo Boff, un ancien prêtre catholique franciscain. Le mouvement s’est appuyé sur les traditions écologiques du christianisme et la culture des peuples amérindiens. Cette révolution culturelle a fait des chrétiens d’Amérique du Sud une composante très importante du mouvement écologiste et paysan. Le Mouvement des travailleurs sans terre, au Brésil, est directement issu de la Commission pastorale de la terre de l’Église catholique.

Qu’en est-il maintenant de « l’islam cosmique de résistance » que vous évoquez ?
Comme toutes les voies spirituelles, l'islam contient un message écologique. Face aux interprétations réductrices et rigoristes, il est important de valoriser la théologie islamique de la nature. En effet, le Coran, qui, pour un musulman et une musulmane est la parole même de Dieu, ne se réduit pas à un Code pénal. Il a aussi une puissante dimension cosmique et écologique. On y retrouve un dialogue entre Allah et le cosmos, entre Allah et le ciel, Allah et les montagnes. Ce ne sont pas de simples ressources neutres, mais des organismes doués de conscience. Profaner la Terre revient à malmener la Création divine.

Le monde arabo­musulman est aussi un espace de lumière, d’inventivité, où des valeurs aussi universelles que le souci de la Terre prennent racines, non seulement théoriquement, mais aussi à travers des expériences. Un exemple : en Indonésie, la Fondation islamique de l’écologie et des sciences environnementales, dirigée par le Dr Fazlun Khalid, réalise un formidable travail d’éducation musulmane à l’environnement, pour que nouvelles générations puissent avoir un vrai soin de la Terre.

En France, des activistes musulmans envisagent d'organiser prochainement les Assises musulmanes de l'environnement. Sans oublier d'évoquer le travail du Collectif Baraka qui se déploie entre théologie islamique de la libération, écologie et humanisme africain.
Pour toutes les religions, le fait de vivre une vie spirituelle à l’ombre d’une planète malmenée ne devrait pas avoir de sens. C'est pourquoi l’écologie doit être l’une des dimensions essentielles du vécu spirituel, tout comme le droit des peuples, la liberté, la dignité, l’émancipation de la femme et la justice sociale.

Les écologies du Sud et du Nord sont-elles compatibles ?
L’approche réductrice de l’environnement comme une gestion des ressources n’est pas la seule voie au Nord. Et heureusement ! Il existe des sensibilités et des associations qui, philosophiquement, sont tout à fait capables de dialoguer avec l’écologie du Sud. On assiste ainsi à la montée en puissance d'une critique éthique du développement durable, avec les mouvements de la décroissance, de la simplicité volontaire, de la sobriété heureuse... Dans ces mouvements apparaissent parfois une dimension spirituelle de l’écologie. Des groupes chrétiens se réclament de l’écologie, comme l’association Chrétiens et pic de pétrole. Cette dernière essaie de sensibiliser et de réconcilier humanisme, spiritualité et écologie. Ils ont compris qu’on ne pouvait pas se contenter de la gestion environnementale pour sortir de la crise écologique. Il nous faut aussi décoloniser l’imaginaire.
 
* Philosophe algérien, Mohammed Taleb enseigne l’écopsychologie et est formateur en éducation relative à l'environnement. Il préside l’association de philosophie « Le singulier universel », fondée en 1994, et au sein de laquelle il anime en particulier le projet de L'Université de l’Âme du monde. Depuis de nombreuses années, il travaille sur les liens entre spiritualité, critique sociale, dialogues interreligieux. Il a publié Nature vivante et Âme pacifiée (Arma Artis, 2014) et L'Écologie vue du Sud. Pour un anticapitalisme éthique, culturel et spirituel (Sang de la Terre, 2014).
Mohammed Taleb est un collaborateur régulier du Monde des Religions. Il anime [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] sur le site de ce magazine, «Intellectuellement»  et [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Écopsychologie, écologie et philosophie organique  


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