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Arlitto
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Quand les hommes d’Église s’enflamment pour la préhistoire Empty Quand les hommes d’Église s’enflamment pour la préhistoire

Mar 29 Oct 2019 - 17:46
Religion

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Propos recueillis par Alice Papin - publié le 20/03/2015 

À partir de 1859, quand la préhistoire se construit comme une nouvelle discipline scientifique, certains ecclésiastiques se mettent à fréquenter assidûment fouilles archéologiques et grottes préhistoriques. C'est à cette histoire que Fanny Defrance­­-Jublot consacre une thèse*, en interrogeant notamment les rapports entre modernité scientifique et catholicisme. Entretien.


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Pierre Teilhard de Chardin à un colloque de paléonthologie en 1947 - :copyright: DR



L'abbé Henri Breuil, le père Teilhard de Chardin, les abbés Amédée et Jean Bouyssonie : pourquoi autant d'hommes d'Église du XIXe siècle se passionnent-ils pour la préhistoire ?


La principale raison de cet intérêt pour la préhistoire est d’ordre théologique : cette  nouvelle  discipline  interroge la foi sur plusieurs  aspects. Elle bouleverse d’abord les anciennes chronologies bibliques, puis pose la question d’une possible origine animale du corps humain. Elle envisage aussi l’éventualité d’une humanité issue de plusieurs berceaux, ce qui fragilise le dogme du péché originel. Cet engouement s’explique aussi par des causes plus conjoncturelles. Les  sites  archéologiques  se trouvent  parfois  à  proximité  des  lieux  de  vie  ou  d'enseignement  de  clercs. À une époque qui se passionne pour les sciences, la pratique archéologique offre un accès aux sociétés savantes qui sont d’importants lieux de sociabilité pour les élites locales. Une aubaine pour le clergé dont la crédibilité des discours est parfois attaquée au XIXe siècle.  


Les  religieux  n'étaient  pas  seuls  à  découvrir  des  vestiges  néandertaliens.  Quels  groupes s'opposent dans les prémices de la discipline ?
Au XIXe siècle, les préhistoriens ne sont pas unis sous la même bannière ; les points de vue peuvent varier de manière importante. Les spiritualistes humanisent plutôt  l'homme préhistorique en cherchant à démontrer qu'il pouvait être croyant ou qu'il pratiquait  un  art  développé. Alors que les matérialistes, qui fréquentent les milieux anticléricaux, ont plutôt tendance à l'animaliser pour l’inscrire dans le schéma évolutionniste d’une progression de l'humanité à partir du singe, en niant, par exemple, le fait qu'il ait pu enterrer ses morts.  


Les chercheurs catholiques sont-ils tous animés par les mêmes objectifs et les mêmes représentations ?
Non, au XIXe siècle, il  peut y avoir entre eux de grandes divergences. Leurs  réactions  n'ont  pas  été  similaires face aux  vestiges préhistoriques. Ceux que l'on appelle les concordistes cherchent à faire « concorder » leurs résultats avec la foi et la Bible. Ils récusent les principaux paradigmes de la préhistoire. D'autres se distinguent par une analyse plus neutre et ont l'ambition de faire progresser leur communauté religieuse vers l'acceptation de la science. Cette dernière école l’emporte et se développe en faisant sienne la théorie évolutionniste à partir du début du XXe siècle.  


Faire « concorder » les résultats ne devait pas être toujours évident. Comment les religieux arrivent-ils à concilier leur foi avec leurs découvertes ?
La  majorité des chercheurs catholiques qui acceptent les principales données de la préhistoire cherchent, par exemple, à limiter le recul des chronologies. Certains, pour valider l'origine animale du corps humain sans compromettre l’origine divine de l’âme et le dogme du péché originel, évoquent l’hypothèse d’une infusion de l'âme par Dieu dans un corps animal, qui se serait transformé par le biais de l’évolution. Régulièrement, des ponts entre recherche et foi s’ébauchent dans les réflexions quotidiennes des préhistoriens catholiques. Pour les abbés Breuil, Bouyssonie et Lemozi, les  grottes ne constituent pas seulement des sites de recherche, mais également des lieux chargés de spiritualité qu’ils décrivent en empruntant au vocabulaire de l'architecture des églises.


La communauté catholique française voit­-elle d'un bon œil l'activité de ses coreligionnaires ?
L’accueil de cette discipline par les catholiques est plutôt positif dans un premier temps. Jacques  Boucher  de  Perthes, l’artisan de la  reconnaissance de la préhistoire, utilise de nombreux termes issus de la Bible pour décrire l’humanité « antédiluvienne ». Le tournant se situe en 1865, avec la publication en France de l’ouvrage de Karl Vogt, Leçons sur l’homme. Cet ouvrage tire pour l’homme les conséquences de la théorie darwinienne en évacuant l’intervention d’un être supérieur et en rattachant les différents groupes humains à différentes familles de grands singes. La préhistoire se trouve également associée au matérialisme de certains chercheurs, tel Gabriel de Mortillet, et perd pour longtemps son crédit chez les catholiques. Ce rejet gagne encore en vigueur lors de la crise moderniste à partir de 1907, lorsque certains intellectuels catholiques sont accusés de transiger avec la modernité scientifique au détriment des dogmes.  


Quel regard porte alors Rome sur les activités peu communes de ces hommes de foi ?
Rome refuse longtemps de trancher sur la question de l'évolutionnisme. Seul le concile provincial de Cologne condamne, en 1860, la thèse de l’évolution du corps humain, mais cette décision est peu connue et n’est pas réactualisée. Certains pontificats sont plus favorables que d’autres pour les préhistoriens catholiques. Léon XIII autorise une libre discussion sur l’évolutionnisme dans le cadre des Congrès scientifiques internationaux des catholiques de 1888 à 1897. Mais le dominicain Dalmace Leroy se voit néanmoins condamné en 1895 pour ses travaux visant à combiner l’évolutionnisme et l’enseignement des Pères de l’Église. En 1925, les préhistoriens catholiques craignent une condamnation de l'évolution après la disgrâce du père Teilhard de Chardin, dont Rome découvre les écrits sur le péché originel qui circulent sous le manteau. Le religieux est sommé de continuer ses recherches en  Chine  et  perd  sa  chaire à l'Institut catholique de Paris. L'inquiétude monte  chez les préhistoriens catholiques qui prennent leur plume pour mettre en garde les milieux romains contre une nouvelle affaire Galilée. Au final, cette condamnation n'a pas lieu. Le débat se clarifie en 1950 avec l'encyclique Humani generis qui  envisage  une possible  origine  animale  du  corps  humain dans le strict cadre du monogénisme, théorie selon laquelle toutes les races humaines dériveraient d’un seul couple ou d’une seule origine. Plus  tard, les préhistoriens catholiques accueillent avec satisfaction les ouvertures poursuivies par le concile Vatican  II (1962-1965).


> Pour en savoir
Sur la spiritualité de l’homme préhistorique, voir notre article « À l’aube de la spriritualité. Des profondeurs vint une lueur » dans Le Monde des Religions n°70, en vente chez votre libraire ou sur [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien].


À lire : (*) Être préhistorien et catholique en France (1859-1962) par Fanny Defrance-Jublot. Sous la direction de Denis Pelletier. Thèse en préparation à l’École doctorale de l'École pratique des hautes études (Paris).


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