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Ven 27 Sep 2019 - 16:37
L’athéologie


Comment vivre sans Dieu ?
Laurent Testot

Quand certains défendent aujourd'hui qu'une société ne peut se passer de religion, des philosophes prennent la plume pour se faire les avocats d'un projet athée. Un projet qui mobiliserait laïcité, morale et spiritualité… et écarterait Dieu

Athée est un terme étymologiquement négatif. Il vient du grec, et se divise en a- (sans) et theos (dieu)
Un athée est donc un sans-dieu. Un type qui se prive de transcendance divine et de tout ce qui est censé aller avec, compassion, spiritualité… Pour peu que l’on accorde crédit à l’hypothèse qui fait de la religion la source de la morale, du vivre-ensemble. Cette perspective acquiert aujourd’hui un certain relief médiatique avec la vulgate répétée d’un retour mondial du religieux, avec l’engagement public d’hommes politiques occidentaux (1), avec enfin une tentation croissante de calquer une explication monocausale sur les multiples conflits du moment, recourant pour ce faire à la seule grille des oppositions religieuses. Julia Kristeva parle ainsi de notre époque comme de « sombres temps où la certitude nihiliste des uns croise l’exaltation fondamentaliste des autres (2) ». Doit-on pour autant penser que le monde se résume à un conflit permanent entre groupes religieux, qui ne reconnaîtraient comme ennemis communs qu’une poignée d’athées nihilistes ?

Vitupérant cette lecture manichéenne de l’actualité, deux philosophes français ont pris la plume, se revendiquant d’une thèse qui, en d’autres temps, aurait frôlé l’hérésie : on peut être athée et tolérant, la foi n’est pas l’essence même du vivre-ensemble, les religions n’ont pas le monopole de la morale. Bref, le xxie siècle sera laïque ou ne sera pas. L’Esprit de l’athéismed’André Comte-Sponville (3) et le Traité d’athéologie de Michel Onfray (4) ont connu un beau succès d’édition. Que trouve-t-on dans ces deux essais ?

Une sagesse pour notre temps
Appelons le premier avocat de l’athéisme à la barre : A. Comte-Sponville, né en 1952. Son ambition affichée est de renouer avec l’idéal ancien de sagesse, tout en assumant les défis de la modernité tels qu’on les voit apparaître chez Friedrich Nietzsche, Karl Marx et Sigmund Freud.

Cela implique d’élaborer une métaphysique matérialiste, une éthique humaniste et une spiritualité sans Dieu, l’addition de ces trois prémisses aboutissant à construire « une sagesse pour notre temps ». Bref, un programme d’envergure, qui ne vise rien de moins qu’à faire de l’athéisme une valeur d’avenir. Pour A. Comte-Sponville, un athée peut bien évidemment faire siennes les valeurs judéo-chrétiennes (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas convoiter l’épouse du voisin…). La morale n’est pas un monopole du religieux. Certains disent que l’on ne peut se conduire correctement que si l’on croit que Dieu compte les écarts et les sanctionne post mortem. Rien de plus faux, s’insurge notre philosophe. Croire en Dieu n’a jamais empêché un fanatique de transgresser des valeurs supérieures. L’histoire nous montre avec constance que le meurtre au nom de Dieu est un phénomène universel. Ce qui fait la morale, c’est un choix conscient. Et l’humaniste, libéré du regard de Dieu, peut décider en conscience d’être moral.

Second avocat : Michel Onfray, médiatiquement consacré, répétitivement dénoncé aussi pour son réquisitoire sans concession contre tout ce qui porte soutane, kippa ou voile. Bah, qu’importe ! L’auteur signe un pamphlet, le genre s’accompagne obligatoirement d’effets de manche outranciers. Le texte figurant en quatrième de couverture de son ouvrage résume à lui seul l’intention du livre : « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine des corps, des désirs, des pulsions. En lieu et place de tout cela, judaïsme, christianisme et islam défendent : la loi et la croyance, l’obéissance et la soumission, le goût de la mort et la passion de l’au-delà, l’ange asexué et la chasteté, la virginité et la fidélité monogamique, l’épouse et la mère, l’âme et l’esprit. Autant dire la vie crucifiée et le néant célébré. » Rien de moins.
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Ven 27 Sep 2019 - 16:37
Déconstruire le religieux


L’athéologie se présente donc comme une science de la déconstruction du religieux, une discipline qui suppose « la mobilisation de domaines multiples » : psychologie et psychanalyse pour « envisager les mécanismes de la fonction fabulatrice » ; archéologie pour mettre les livres saints à l’épreuve du témoignage factuel ; linguistique, histoire, etc. Et philosophie pour coordonner l’entreprise, avec en ligne d’horizon l’avènement d’« une physique de la métaphysique, donc une réelle théorie de l’immanence, une ontologie matérialiste ».

M. Onfray multiplie les exemples piochés dans l’histoire des religions – et donc les risques de se faire anathémiser – afin de faire de son argumentaire un acte d’accusation valant condamnation à mort. Son discours, très documenté, ne comporte que très peu d’erreurs factuelles. Il n’est pas faux, il est juste orienté. Il souligne méthodiquement la face obscure des religions, les contradictions qui émaillent Bibles et Coran, et s’abstient avec constance d’évoquer les lumières d’une Andalousie de la tolérance, d’un Maïmonide, d’un Ibn al-Muqaffa’ (5) ou d’un Matteo Ricci.

Ceci dit, rien de tout cela n’a d’importance. Comme tout essai, ces deux ouvrages valent en fait davantage par leur objectif que par les arguties qui y sont développées. Et cet objectif est d’ouvrir une réflexion que l’on pourrait résumer par : « Que serait une spiritualité – ou une ontologie – athée ? » On pourrait dire que M. Onfray commence le travail en déconstruisant, sur une base qui mêle histoire et actualités, les discours qui veulent obstinément faire rimer religion avec morale, compassion, etc. ; et que A. Comte-Sponville le prolonge en éreintant philosophiquement ces mêmes présupposés. Il entreprend ainsi de démontrer l’inanité de la preuve ontologique attribuée à saint Anselme (xie siècle), qui veut que Dieu, par définition, soit parfait, et que sa perfection ne puisse se concevoir sans existence. Puis il s’attaque à la preuve cosmologique, dont Gottfried Leibniz s’est fait l’écho, qui postule que puisque le monde est, il lui faut une cause, et que cette cause ne peut être que Dieu. Mais tout fait a-t-il nécessairement une cause ? Et de passer en revue les autres arguments en faveur de l’existence de Dieu, les réduisant en poudre en les passant au crible du raisonnement.

Affranchir la raison de la foi
Au final, A. Comte-Sponville entreprend de dresser les grandes lignes d’une spiritualité athée. L’extase, par exemple, ce fameux sentiment océanique, peut se vivre en dehors de toute croyance. La spiritualité, la réflexion sur l’infini, toutes ces choses ne sauraient être monopoles des croyants… Certes. Mais l’exercice montre vite ses limites. La spiritualité se vit davantage qu’elle ne se conçoit sur le papier. À cette aune-là, A. Comte-Sponville prêche davantage pour les convaincus que pour les sceptiques.
Nos deux plaideurs de l’athéisme sont les héritiers d’une longue histoire. La question de l’athéisme semble inscrite dans l’essence même d’une pensée philosophique qui, dès l’Antiquité grecque, entend explorer les causes de notre existence. Démocrite, qui entendait limiter les certitudes au monde observable, Anaximandre, qui avait essayé de comprendre l’univers par l’observation et non par le recours aux mythes, ou Socrate, qui pensait que l’homme pouvait de lui-même accoucher de la vérité, avaient déjà pavé la voie aux futurs libres-penseurs. Au xive siècle, à une époque où le terme d’athée renvoie à ce qui n’est pas chrétien (en d’autres termes, à tous ceux, hérétiques, mahométans…, qui n’adhèrent pas à l’Église), Guillaume d’Ockham va distinguer le temporel du spirituel, et affranchir la raison de la foi. Contre Thomas d’Aquin qui entend subordonner la raison à la foi, Guillaume d’Ockham plaide que la philosophie, dans sa recherche des causes, ne saurait en aucun cas être la « servante » de la théologie : il n’y a aucun rapport entre ces deux disciplines. Ce moine franciscain, dans lequel il serait bien prématuré de vénérer un précurseur de l’athéisme, ouvre néanmoins d’un coup de rasoir (6) une large brèche dans laquelle s’engouffreront ceux qui instaureront ultérieurement le règne de la science et de l’humanisme.

Le coup de Jarnac de Darwin
La saga est connue. Elle est scandée entre autres par les grands noms des « martyrs » de la liberté de penser. Copernic, qui murmure que le Soleil ne tourne pas autour de la Terre. Giordano Bruno, qui hurle jusqu’au bûcher que l’univers est infini. Galilée, qui défend et démontre les hypothèses coperniciennes avant de se rétracter. L’épopée de la libre-pensée, dont se réclament certains athées d’aujourd’hui, se confond avec la marche du savoir positif, qui cherche à s’affranchir du carcan de l’Église ; avec la volonté de penser librement, qui s’incarne aussi dans un Spinoza ou un Montaigne… À la différence d’un abbé Meslier qui, dès le xviiie siècle, dénonce la fausseté des religions, ces gens-là ne sont pas athées au sens propre du terme. Leur univers mental reste d’une façon ou d’une autre teinté de sacré. Mais ils élaborent cette pensée qui fera perdre à l’Église le contrôle qu’elle exerçait sur la société. L’imprécateur qu’est M. Onfray, au passage, vitupère les « déistes » que sont Denis Diderot ou Voltaire, qu’il accuse avec d’autres d’avoir été les fossoyeurs de l’œuvre des « véritables athées » qu’étaient l’abbé Meslier, le baron d’Holbach ou Ludwig Feuerbach.
Puis vient le prophète aujourd’hui adulé par les athées, Nietzsche, dont on souligne à l’envi qu’il a proclamé (prématurément ?) la mort de Dieu. Les écrits de Marx abolissent quant à eux l’idée qu’une société ou qu’une histoire ne peuvent être que religieuses. Charles Darwin, avec sa théorie de l’évolution, porte un coup de Jarnac aux tenants d’une lecture littérale de la Bible. De grands esprits scientifiques, de Paul Broca à Marcelin Berthelot, se convertissent à l’athéisme.
Aujourd’hui, se dire athée peut se vivre de deux façons. Cela peut relever d’un acte militant, qui revendique un monopole sur les Lumières, qui fait rimer sa lutte avec défense de la laïcité, et qui fait de la raison le revers obligé de l’obscurantisme religieux. Ces athées-là, libres-penseurs, se voient comme les hérauts de la modernité et portent aux nues M. Onfray. Plus discrets, peut-être plus nombreux, les athées moins impliqués trouveront quant à eux chez A. Comte-Sponville les arguments qui leur permettront de justifier ce scandaleux « mais comment peut-on être athée ? ». Mais une fois la messe dite, il faut reconnaître que la spiritualité athée, si une telle chose est possible, reste à construire. Les athées des deux catégories communieront de toute façon en entendant M. Onfray conclure : « Le travail reste à faire. Et il est planétaire. » 
 
 
NOTES
(1) Un président américain se fabrique une image de croyant modèle, son collègue français insiste à longueur de discours sur l’importance de la religion comme source de morale, un ex-Premier ministre britannique affiche sa conversion au catholicisme…
(2) J. Kristeva, Cet incroyable besoin de croire, Bayard, 2007.
(3) A. Comte-Sponville, L’Esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006. 3 CD audio de commentaires de l’œuvre par l’auteur viennent d’être édités par Frémeaux et associés sous le titre Qu’est-ce qu’une spiritualité sans Dieu ?, 2008.
(4) M. Onfray, Traité d’athéologie. Physique de la métaphysique, Grasset, 2005.
(5) Voir le portait que trace Dominique Urvoy (Les Penseurs libres dans l’islam classique, Albin Michel, 1996) de ce lettré du viiie siècle, un Persan converti à l’islam qui « a préparé les esprits à une appréhension rationnelle des choses ».
(6) Le rasoir d’Ockham, ou principe de nécessité, repose sur l’obligation faite au penseur de ne pas recourir à plus d’hypothèses qu’il n’est nécessaire pour arriver à une démonstration donnée. Dans le Moyen Âge chrétien, une telle position était hautement subversive. Appliqué à la lettre, ce principe peut remettre en cause l’existence de Dieu. Voici une entité que l’on ne peut pas observer, et dont on peut faire l’économie pour expliquer le monde.
 

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Pierre Bayle (1647-1706) 
« Un athée peut être vertueux, aussi sûrement qu’un croyant peut ne pas l’être. » Calviniste par éducation, converti au catholicisme avant de revenir au protestantisme… Ce pèlerin cultuel se fait l’avocat de la liberté de conscience ! Son énorme Dictionnaire historique et critique (1695-1697), dans lequel il étripe tout ce qui ressemble à des dogmes, des erreurs historiques ou des superstitions, lui offre aussi l’occasion de prôner la tolérance. S’il convient que le scepticisme qu’il défend peut amener à douter de Dieu, il s’abstient de se dire athée.


Denis Diderot (1713-1784) 
Ses Pensées philosophiques, publiées en 1746, défraient la chronique. Diderot ose attaquer le christianisme et plaider en faveur d’une religion qu’il dit « naturelle » ! Trois ans plus tard, il récidive avec sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, où il défend un point de vue matérialiste et athée. Mais il est resté célèbre comme le maître d’œuvre de l’Encyclopédie, de 1747 à 1766, énorme machine de guerre des Lumières contre l’obscurantisme. Son credo : une morale sociale qui ferait coïncider bonheur individuel et bien général.


Karl Marx (1818-1883) 
On retient du philosophe allemand le lapidaire « La religion est l’opium du peuple ». Il reste dans l’histoire comme l’inspirateur d’une vision qui entend faire échapper l’homme à toute forme d’aliénation, posant le principe d’une liberté absolue… 
L’athéisme, promu au rang de raison d’État en Union soviétique ou dans la République populaire de Chine, s’est imposé au fil du xxe siècle comme une « religion séculaire » tout aussi peu tolérante que son antithèse religieuse.


Michel Onfray (né en 1959) 
Affichant un athéisme sans concession, cet intellectuel français expose inlassablement en quoi les religions ne sont que des outils servant à dominer l’homme et à le couper de la réalité. Par opposition à André Comte-Sponville, qui s’est vu affublé de l’étiquette d’« athée chrétien » (au sens où il estime que la morale chrétienne est un acquis qui peut se vivre sans référence à Dieu), M. Onfray se veut « athée non chrétien », partisan d’un athéisme qui refuse l’héritage du judéo-christianisme.
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Michel Onfray 1/3 ("Traité d'Athéologie") France Inter (février 2005) 



Michel Onfray interviewé sur France Inter dans l'émission "Charivari", en février 2005, sur son livre "Traité d'athéologie"
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Ven 27 Sep 2019 - 16:39
Michel Onfray 2/3 ("Traité d'Athéologie") France Inter (février 2005) 



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Michel Onfray 3/3 ("Traité d'Athéologie") France Inter (février 2005) 



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